« Ce que j’ai vu de la Grande Guerre », photographies de Frantz Adam
La Première Guerre mondiale fut le premier conflit à être massivement photographié. À côté des images officielles et des clichés des reporters de presse, ce sont les photographies des amateurs qui vont faire émerger une nouvelle culture visuelle de la guerre. Médecin combattant sur les principaux théâtres d’opération, Frantz Adam, d’origine alsacienne, se révèle l’un des plus singuliers et talentueux d’entre eux. Il nous a légué un fonds d’une exceptionnelle richesse pour voir « la Grande Guerre ». Regarder la guerre, la montrer sans la maquiller, c’est à quoi s’attache pendant quatre ans Adam avec son appareil portable, un Kodak Vest pocket, quand il ne secoure pas les innombrables victimes de son régiment, le 23ème R.I. Il circule en permanence des tranchées à l’arrière-front, donnant à voir les destructions et les souffrances d’un monde en guerre et les images fugaces mais prégnantes de la camaraderie humaine : Vosges en 1915, Somme et Verdun en 1916, Chemin des Dames en 1917, libération de la Belgique, entrée en Alsace… Patriote proclamé, humaniste revendiqué, Adam est psychiatre de formation. Son regard sur la guerre est empreint d’empathie avec ses camarades ainsi qu’à l’égard des soldats alliées et des prisonniers ennemis. Les Allemands n’apparaissent jamais, dans son objectif, comme des trophées de guerre.
Il aura fallu un siècle pour que ses prises de vues, la plupart inédites, soient enfin rassemblées à l’initiative de l’Agence France-Presse pour être présentées dans un ouvrage « Ce que j’ai vu de la Grande Guerre », aux éditions La Découverte, avec le label de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale. Voici une sélection de ces photographies.

Soldats du 23e RI dans un abri des Vosges, avril 1915. Petit groupe d’une dizaine de soldats pris en contre-plongée, dans une composition en pyramide inversée, à côté des fusils en faisceaux. Une totale impression de camaraderie.
Avril 1915. Un assistant médical lisant à sa table, devant un poste de secours près de Saint-Jean d’Ormont (Vosges). L’image est caractéristique du secteur et de la période : construction en rondins et branches de pin, dans un environnement de forêt non encore détruite par le feu de l’artillerie lourde adverse.
Fin juillet 1916, Somme. Des combattants du 23e RI dans une tranchée. En dépit des barbelés et des sacs de sable, l’absence de casque et d’armes à proximité immédiate indique qu’on n’est sans doute pas en premières lignes.
Été 1916, Somme. Durant l’offensive de la Somme, distribution de pain à des prisonniers allemands, dont l’un est blessé et pansé au crâne. On peut remarquer, comme sur d’autres photos de captifs allemands dans la deuxième moitié de la guerre, leur relative maigreur, traduisant un approvisionnement de plus en plus difficile du fait du blocus.
Été 1916, Somme. Frantz Adam note l’ambiguïté de cette scène : « Près d’un hôpital de campagne, certains de ces Fritz étaient occupés à creuser des rangées de tombes pour les victimes des combats auxquels nous allions prendre part ; et nos hommes assistaient indifférents à cette préparation d’un nouveau genre ; je fixai sur pellicule cette scène assez curieuse. » En effet, si les Français regardent suer et travailler leurs ennemis, c’est de leur mort future qu’il s’agit, tandis que les captifs, contrairement ceux qui les regardent, savent désormais qu’ils ont la vie sauve.
16 avril 1917, près de Loivre. Le cadrage est incertain pour cette photo prise à la hâte dans une tranchée ennemie conquise (tranchée de Trèves) encombrée de douilles. On pourrait croire que le jeune à la tête inclinée est tué ; il n’est que blessé, en attente d’évacuation.
Mai 1918, Belgique. Un soldat irlandais (reconnaissable à l’insigne en forme de harpe sur sa casquette) se fait prendre en photo avec deux membres d’une unité de transport indienne (les troupes combattantes venues d’Inde ont quitté le front ouest en 1915 pour l’essentiel). Ils portent le « Puggri » (tissu noué sur la tête) d’où sort un « Kullah » conique.
Août 1918, Brény. Éléments issus du pillage de l’Église.« Je veux rapporter ici un fait établissant avec quel esprit de méthode excessif, et en l’espèce sacrilège, les Allemands tiraient parti de tout ce qu’ils trouvaient chez nous. Pendant l’attaque d’Oulchy, j’installai un jour un poste de secours dans une maison de Brény, dont je trouvai une pièce pleine de caisses de grenades. Préférant ne pas travailler sur un volcan, j’ordonnai à des brancardiers de transporter ces caisses au dehors. L’un d’eux ayant eu l’idée d’en ouvrir une y découvrit… des ciboires. D’autres étaient pleines de calices, d’autres d’ostensoirs, de patènes, d’ornements d’églises (…). Le tout, rassemblé dans une des maisons les plus proches de la gare de Brény, était évidemment destiné à filer en Allemagne. Je pris quelques photos de cette trouvaille et les envoyai à l’Illustration qui les publia dans son numéro du 24 août 1918. »
5 décembre 1918, Dolhain, Belgique. Les populations libérées exorcisent la très dure occupation allemande par la pendaison de ce mannequin affublé d’un uniforme allemand et d’un casque à pointe, représentant Guillaume II.
23 novembre 1918, Strasbourg. Soldats français posant avec des Alsaciennes en coiffe et costume traditionnel. Très mise en scène, la photo illustre l’enthousiasme d’Adam lors de l’entrée en Alsace : « J’assistai le 23 [novembre] à l’entrée à Strasbourg du général Pétain ;c’était la réalisation du rêve cent fois forgé dans mon enfance (…), le défilé devant Kléber, la Marseillaise, le délire de la foule. »