Piste 4 - 1916- 1917, la perte du sens, les mutineries

Les mutineries de 1917 sont restées dans toutes les mémoires ; elles constituent un tournant majeur dans la conception d’une guerre qui, par sa violence et son enlisement, ne fait plus sens ; elles marquent le fait que beaucoup d’engagés sont devenus des pacifistes convaincus.
Il nous en reste la fameuse chanson de Craonne, que se sont appropriée les Poilus. Mais les textes littéraires sur les mutineries ont longtemps été rares. Indépendamment de la censure, la situation relève-t-elle de l’inexprimable, ou du tabou ? En revanche la montée de la lassitude est clairement perceptible dans la représentation romanesque.
Il est intéressant de constater que le propos de l’exposition intitulée « 1917 l’art de la guerre » (au Centre Pompidou Metz, de mai à septembre 2012) va dans le même sens : le conflit de 14-18 a été largement couvert par la photographie, mais très peu d’œuvres peintes ou sculptées l’évoquent. L'apparent silence des artistes face à 14-18 n’est que le résultat de leur perception prophétique d'un nouveau monde naissant dans le carnage. Certains, n'ayant pu ou su trouver les ressources pour l'exprimer, se sont tus ou réfugiés dans une beauté préservée de la marche de l’Histoire ou la dérision (1917 est l’année des dernières Nymphéas de Monet et de l’urinoir renversé de Duchamp). Quelques uns – mais ils sont rares et parmi eux beaucoup ont souffert de troubles psychiatriques – ont au contraire tenté de découvrir au moyen de formes nouvelles la nature profonde du cataclysme qui s'abattait alors sur le monde.
Textes supports
- Henri Barbusse, Le Feu (1916), Flammarion, réédition Livre de poche, p.354 à 356 depuis « Nous avons trop présumé de nos forces » jusqu’à « …dans son crachat ».
- Blaise Cendrars, « La Guerre au Luxembourg », extrait du poème d’octobre 1916 publié en décembre 1916, réédition dans Du monde entier au cœur du monde, poésie/Gallimard, p. 126 à 130 (impossibilité de dire alors la guerre autrement que par le détour d’une vision enfantine dans les jardins parisiens).
- Roland Dorgelès, Les Croix de bois (1919), Albin Michel, chap. IX, « Mourir pour la Patrie », réédition Livre de poche, p. 149 à 151 (exécution d’un soldat qui a refusé d’aller au front).
- Proust, À la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé (1927), réédition Gallimard, Pléiade tome III, édition de P. Clarac et A. Ferré, p. 771 à 773, depuis « Malgré cela, la vie continuait… » jusqu’à « …d’une douce satisfaction ».
- Louis Guilloux, Le Sang noir (1935), éditions Gallimard, réédition folio, p. 362 à 373, depuis « À mesure qu’ils approchaient de la gare… » Jusqu’à « …Cripure contemplait » + document complémentaire en lien avec le texte romanesque (, la chanson de Craonne, ci-dessous).
- Alice Ferney, Dans la guerre, (2003), éditions Actes Sud, chapitre IX, « Le mutin de 1917 », p. 463 à 465, depuis « Les historiens attendraient… » Jusqu’à « …d’être tué par les miens ».
Document complémentaire
La Chanson de Craonne (voir texte ci-dessous)
Paroles diffusées par Paul Vaillant-Couturier | Paroles diffusées par Henry Poulaille |
Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé On va reprendre les tranchées, Notre place est si utile Que sans nous on prend la pile Mais c'est bien fini, on en a assez Personne ne veut plus marcher Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot On dit adieu aux civ'lots Même sans tambours, même sans trompettes On s'en va là-haut en baissant la tête - Refrain : Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards - Refrain : |
Quand au bout d'huit jours le repos terminé On va reprendre les tranchées, Notre place est si utile Que sans nous on prend la pile Mais c'est bien fini, on en a assez Personne ne veut plus marcher Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot On dit adieu aux civ'lots Même sans tambours et sans trompettes On s'en va là-bas en baissant la tête - Refrain : C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards - Refrain : |
Images
- Les Sentiers de la gloire, 1957, film américain de Stanley KUBRICK (censuré et récompensé par le prix du Chevalier de La Barre), inspiré du roman du même titre de Humphrey COBB, 1935
- TARDI, C’était la guerre des tranchées, 1993, bandes dessinées, Éditions Casterman (notamment les pages 48 à 52)
- Des œuvres réalisées en 1917, qui évoquent bien la guerre mais ne parviennent pas à en exprimer l’horreur, et qui restent en deçà de sa réalité. Ex : Village en ruines près de Ham, unique représentation du conflit par le peintre Bonnard, officiellement missionné pour peindre la guerre, ou Verdun de Valloton, peintre post-impressionniste, également missionné par l’État-major, et qui admettra ne pas avoir trouvé de solution plastique satisfaisante pour représenter l’enfer de la guerre.
- Des œuvres réalisées en 1917 et qui semblent se désintéresser complètement la guerre. Ex : les dernières Nymphéas de Monet ou L’Urinoir inversé (ou Fontaine) de Duchamp.
Félix VALLOTON, Verdun, 1917, huile sur toile, 114*146 cm, Musée de l’Armée, Paris (France)
Pierre BONNARD, Un village en ruines près de Ham, 1917, huile sur toile, 63 x 85 cm, Musée d'histoire contemporaine - BDIC, Paris (France)
Marcel DUCHAMP, Fontaine, 1917, urinoir en faïence manufacturée, 63*48*35 cm, Musée National d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou, Paris (France)
Grève des Midinettes, manifestation devant la Chambre des Députés, 18 mai 1917.